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Interview

Jeanne Guien : «Face à chaque nouvel objet, il faut poser la question : qui va être dominé ?»

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Dans «le Désir de nouveautés», la philosophe Jeanne Guien déconstruit cinq siècles de discours enchanté sur les notions d’évolution et de progrès, et prouve avec brio que la «néophilie», cet attrait pour le neuf, n’a rien de naturel ni d’instinctif.
Œuvre de la photographe et artiste bruxelloise Barbara Iweins qui a répertorité, suite à un 11e déménagement éprouvant, tous les 12 795 objets de sa maison dans un «Katalog». Nous en avons sélectionné 54. (Barbara Iweins)
publié le 17 mars 2025 à 16h27

Désirer la nouveauté va-t-il de soi ? Y a-t-il en chacun de nous une attente diffuse, un creuset de frustrations qui nous inviterait, depuis la nuit des temps, à vouloir constamment posséder de nouvelles choses, qu’elles soient matérielles ou non ? Pour Jeanne Guien, docteure en philosophie, la réponse est sans équivoque : non. Le Désir de nouveautés, titre de son dernier livre (la Découverte, mars 2025), déconstruit pas à pas cette idée. Selon l’autrice, l’attrait pour le neuf serait le fruit d’une longue construction, inscrite au cœur du capitalisme, savamment orchestrée depuis le commerce colonial jusqu’au marketing récent.

Pour le démontrer, elle s’attache aux mécanismes discursifs qui font de la nouveauté, à travers l’histoire, le synonyme de progrès – quand des termes comme «innovation» ou «évolution» chercheraient à masquer l’exploitation qu’ils génèrent. Philosophe de la technique, ses précédents travaux, sur l’histoire de l’obsolescence, le freeganisme (récupération alimentaire, qu’elle pratique) ou la collecte municipale des déchets, construisent une œuvre critique de la société de consommation et du gaspillage, comme on peut le lire dans le Consumérisme à travers ses objets (2021) et Une histoire des produits menstruels (2023) tous deux parus aux éditions