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Chronique Ré/jouissances

La femme et le/la Pantin(e)

Chronique «Ré/Jouissances»dossier
Retour amusé sur la conversion du nom de la ville de proche banlieue parisienne, imaginée par la mairie PS, façon un peu farce d’accélérer féminisation et urbanité.
A Pantin, en Seine-Saint-Denis, le 6 janvier. (Joao Luiz Bulcao/Hans Lucas. AFP)
publié le 10 janvier 2023 à 11h03

J’ai commencé par ricaner gaillardement quand j’ai découvert que le maire de Pantin tenait à rebaptiser du doux nom de Pantine son faubourg du Grand Paris. J’ai daubé sur cet opportunisme féministe en peau de lapin, sur ce coup de com qui voudrait faire genre, sur cet assujettissement à une époque qui a tant changé qu’elle a désormais l’inclusivité moralisante et le wokisme déboulonneur. Ensuite, je me suis délecté des déclinaisons moqueuses déclenchées par cette initiative. Ainsi, en toute logique, Bordeaux deviendrait Bordelles quand Bruxelles bruxellerait en Bruxeux. Il est probable que La Baule-les-Pins refuserait tout cru que son qualificatif forestier se féminise au risque de trop se viriliser. Ne parlons pas de Mâcon qui aggraverait son cas en s’accordant grammaticalement. Et Berlin qui se ferait voiture de maître et limousine, etc.

Et puis, j’ai réalisé que je ne pouvais balayer d’un revers dédaigneux ce «e» surnuméraire. Et ceci pour une raison très personnelle et parfaitement avouable. Tandis que je croupis toujours à Issy-les-Moulinettes, ma fille réside désormais à… Pantine. Je campe au sud-ouest, elle est partie au nord-est. Dans cet outre-périf, nous sommes à l’exact inverse. A des années-lumière de mon 92 de hasard, elle rayonne dans ce Brooklyn du 93, qui devrait dégommer vite fait Montreuil sur l’échelle de la hype bobo. En conséquence, je ne peux que me régaler des coq-à-l’âne surréalistes déclenchés par cette voyelle rimbaldienne blanche et sonore. Et en profiter pour repeindre le tableau des correspondances métropolitaines.

Il y a d’abord la surprise de redécouvrir un autre signifié sous le signifiant homonyme. A force de lui coller une majuscule, Pantin n’était plus que lieu-dit gouailleur, urbanité en fort développement de 60 000 habitants, village-monde en voie de gentrification. Et voilà qu’en mettant un jupon à ce Poulbot des fortifs, un cotillon à cet apache des lisières, on exhume une évidence, un sens tout à fait commun, même si un brin dépréciatif. Un pantin est une marionnette, quand ce n’est pas un bouffon. On en tire les ficelles et on le dirait sous emprise si le terme n’était pas si connoté et tant utilisé pour dire n’importe quoi. C’est un guignol sans infos, un polichinelle sorti du tiroir. Et peu importe que l’étymologie latine renvoie plutôt aux marais pontins ou que l’argot des barrières surnomme Paris, Pantruche, l’accouplant à son voisin. Ou à sa voisine…

Avouons que personne n’a jamais su comment genrer les villes, tant il manque en français ce neutre qui permet aux Anglo-Saxons de franchir la haie binaire. Et donc ça fonctionne au doigt mouillé et à la sonorité. A tout prendre, Lyon serait plutôt un animal masculin et Marseille, féminine comme abeille enivrée à la treille. Rome serait homme, mais Roma, femme, tout comme Calcutta, finales en «a» obligent. Pantin était bleu garçon, le voilà rhabillé en rose fillette. Il est assez piquant de noter comment cette fluidité laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Et combien il serait bon de laisser aussi flotter les possibilités quant à la féminisation des fonctions. Par exemple, pourquoi décréter qu’ «autrice» prendra le pas sur «auteure» ? S’offusque celui qui n’a jamais moufté pour «actrice» ou autre «éditrice»… Et qui verra bien comment tranchera l’usage, une fois la mode militante épuisée.

Revient également rôder aux alentours la silhouette de Coluche dans le film Tchao Pantin. L’amuseur en salopette s’y fait clown désespéré, jouant un terrible pompiste pompé par la dope et perclus de culpabilité vengeresse. Mais quand Pantin se fait Pantine, cela n’a rien à voir avec une tragédie destructrice. C’est juste un écho rieur et anecdotique à une mixité langagière, au risque d’un ridicule sans importance.

En guise de référence culbuteuse, la Femme et le Pantin, le roman de Pierre Louÿs, tombe plus à propos. Cela raconte un mécanisme de domination… féminine. La convoitée attire dans ses rets le prétendant. Elle le laisse maronner, avant d’à nouveau l’aguicher. Elle le rançonne, l’appâte, le consomme, le félicite de l’avoir molestée, si, si, je vous assure, et l’envoie à nouveau valser. Les nombreuses adaptations à l’écran de cet ouvrage un rien précieux osent un casting de belle envergure et des variations tout à fait traîtresses sur le sadomasochisme sentimental. Josef von Sternberg met en scène et torpille Marlene Dietrich pour la punir de l’avoir débarqué de sa vie privée. Brigitte Bardot passe cambrée sur ses ballerines devant la caméra de Julien Duvivier. Et Luis Buñuel choisit deux actrices pour un même rôle, la froide Carole Bouquet et la pétulante Angela Molina dans un long métrage qu’il rebaptise à raison Cet obscur objet du désir. Et qui raconte l’obsession jamais éconduite et l’envie aveuglante. Que l’on soit pantin ou pantoise, à Pantin comme à Pantine.