Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, le pays connaît l’une des plus graves crises politiques de l’histoire de la Ve République. Après le premier tour des élections législatives, l’extrême droite est proche d’obtenir la majorité absolue de manière inédite dans les démocraties européennes. Dans cette campagne électorale éclair et ce fracas médiatique où toutes les digues contre l’accès de l’extrême droite aux responsabilités semblent avoir sauté, le silence des dirigeant·es et des instances du sport est assourdissant.
L’extrême droite fera du sport un moyen de coercition
Il est révélateur de leur incapacité à se positionner clairement sur des sujets sociaux aussi importants que le racisme, le droit des femmes ou celui des personnes LGBT. Ce silence est d’autant plus grave qu’il s’exprime à l’instant où la France s’apprête à organiser les JOP 2024, durant lesquels des milliards de téléspectateurs braqueront leur regard sur notre pays. Peut-on imaginer un seul instant une cérémonie d’ouverture avec à la tribune un gouvernement composé de ministres d’extrême droite ?
Alors que l’«héritage» a été le maître mot justifiant l’organisation de cet événement planétaire, on peine à concevoir un legs plus lourd à porter. Au-delà de l’image du pays, nous savons que les politiques réactionnaires et identitaires mises en œuvre par l’extrême droite en matière de sport conduiront inexorablement à davantage d’exclusion et de discrimination.
L’extrême droite fera du sport un moyen de coercition et de prise en charge des masses au service d’une idéologie condamnant les plus faibles. Dans ce contexte, les président·es de fédérations sportives, représentant des millions de licenciés, ont un rôle majeur à jouer dans la construction d’un rempart moral à l’idéologie xénophobe, sexiste et réactionnaire du Rassemblement national.
Parmi les mythes entretenus par l’idéologie sportive, celui de l’apolitisme est peut-être le plus dangereux bien qu’il ait été largement invalidé par les travaux en sciences sociales du sport. Nier la dimension politique du sport revient à renoncer à sa dimension sociale dans toute sa complexité et sa singularité. Prétendre que le sport est politiquement neutre, et qu’à ce titre il n’est pas possible de s’engager clairement dans une campagne électorale où la démocratie est en danger, c’est faire le jeu de ceux qui dans quelques mois n’auront que peu de scrupules à instrumentaliser le sport pour le mettre au service d’un funeste projet.
Le sport n’a pas de valeurs intrinsèques !
Là encore, les travaux en sciences sociales ont largement documenté la façon dont les régimes autoritaires instrumentalisent le sport. Les exemples sont nombreux, de Berlin 1936 à Pékin 2008 en passant par la Coupe du monde au Qatar. Essayons de ne pas ajouter à cette triste liste Paris 2024. La question n’est donc pas de savoir s’il est une bonne ou «une mauvaise chose de politiser le sport», comme l’affirmait Emmanuel Macron lors de la dernière Coupe du monde, puisque le sport est inévitablement politique.
Le sport n’a pas de valeurs intrinsèques ! Le sport moderne a une histoire relativement récente mais de nombreux exemples montrent qu’il peut avoir des finalités sociales bigarrées, en fonction du contexte social et politique dans lequel il se déploie. La banalisation des thèses racistes, antisémites, homophobes et sexistes devraient largement alerter les grands dirigeants du sport, car nous savons, pour avoir étudié le sport d’un point de vue historique et sociologique, comment celui-ci sera utilisé par l’extrême droite.
Il sera alors bien tard pour se rendre compte que les valeurs du sport étaient finalement à géométrie variable. Dans ce contexte troublé, nous observons de la part du mouvement sportif au mieux un silence gêné, au pire des sorties médiatiques coupables comme celle de Guy Drut, membre du CIO et ancien ministre des Sports, affirmant dans un entretien accordé au Monde qu’«il n’y a aucune raison que ça se passe mal avec le RN», à propos des JO.
Ce naufrage idéologique est aussi dans le renvoi dos à dos «des extrêmes». Cette rhétorique relativiste, initiée par le président de la République, offre ici un appui idéal à une nouvelle reprise de l’apolitisme du sport. Ce principe d’équivalence est particulièrement problématique, car on peut difficilement mettre sur le même plan un projet politique réactionnaire réduisant le sport à sa fonction identitaire, alors qu’il peut être un levier des politiques (sportives et éducatives) humanistes et émancipatrices.
Quand on connaît l’engagement dont font preuve de nombreuses fédérations sportives pour lutter contre le racisme, le sexisme ou l’homophobie, ou celui de nombreuses associations faisant du sport un moyen d’accompagnement des publics fragiles, on ne peut qu’enjoindre ces acteurs à s’engager clairement pour faire barrage sans réserve au projet du Rassemblement national.
Signataires : Michaël Attali Professeur à l’université Rennes-2, historien du sport Nicolas Bancel Professeur à l’université de Lausanne, historien Natalia Bazoge Maîtresse de conférences à l’université Grenoble-Alpes, historienne du sport Hugo Bourbillères Maître de conférences à l’université Rennes-2, sociologue du sport Daphné Bolz Professeure à l’université de Rouen-Normandie, historienne du sport Annabelle Caprais Maîtresse de conférences à l’université de Bretagne-Occidentale, sociologue du sport Julie Demeslay Professeure à l’université Paris-Nanterre, sociologue du sport Sylvain Dufraisse Maître de conférences à Nantes-Université, historien du sport Olivier Chovaux Professeur à l’université d’Artois, historien Cécile Collinet Professeure à l’université Gustave-Eiffel, sociologue Jacques Defrance Professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, sociologue du sport Emma Guillet Descas Maîtresse de conférences HDR à l’université Lyon-1, Staps psychologie sociale du sport Marina Honta Professeure à l’université de Bordeaux, sociologue du sport Michel Koebel Professeur à l’université de Strasbourg, sociologue du sport François Le Yondre Maître de conférences à l’université Rennes-2, sociologue du sport Nicolas Penin Maître de conférences à l’université d’Artois, sociologue Clémence Perrin-Malterre Maîtresse de conférences à l’université Savoie-Mont-Blanc, sociologue Yohann Rech Maître de conférences à l’université Rennes-2, sociologue du sport Jean Saint-Martin Professeur à l’université de Strasbourg, historien du sport Anne Schmitt Maîtresse de conférences à l’université de Paris-Saclay, sociologue Bastien Soulé Professeur à l’université Lyon-1, sociologue du sport.