Les Français sont-ils plus réfractaires aux mesures de lutte contre le dérèglement climatique que les Allemands, les Anglais et les Italiens ? Une note pour le Baromètre de la confiance politique du Cevipof penche en ce sens. Le directeur de recherche au CNRS Luc Rouban vient de rendre publique une étude élaborée à partir d’un échantillon représentatif de 3 072 enquêtés en France, 1 675 en Allemagne, 1 685 en Italie et 1 659 au Royaume-Uni, et menée entre le 27 janvier et le 17 février pour les quatre pays. Résultat : «C’est en France que l’écoscepticisme est le plus fort», résume le politologue.
Et ce, bien que le niveau de préoccupation en matière de changement climatique soit «du même ordre que dans les trois autres pays étudiés», l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie ayant des niveaux de développement et une santé démocratique comparables. Pour les Français davantage que pour leurs homologues européens, «les contraintes gouvernementales pour protéger l’environnement ou limiter la dégradation du climat n’auront guère d’effet concret», affirme la note.
Tropisme générationnel
L’inquiétude des Français par rapport au climat est celle qui varie le plus en fonction de l’âge. «La proportion d’enquêtés se disant très inquiets passe en effet de 40 % chez les 18-24 ans à 20 % chez les 65 ans et plus et de manière très linéaire alors que cet écart, s’il existe encore, n’est plus que de 10 points au Royaume-Uni (44 % à 34 %), et disparaît presque complètement en Allemagne (32 % dans les deux cas) et en Italie (on passe de 45 % à 43 %)». Selon l’étude, le tropisme générationnel se place, comme facteur explicatif, devant l’écart entre les moins diplômés et le plus diplômés, et la différence de niveau de vie selon que les personnes interrogées appartiennent à des catégories modestes ou aisées.
Ce scepticisme peut également varier en fonction du degré de libéralisme économique des citoyens. Comme le relève l’étude, «les enquêtés les plus libéraux sont moins enclins à croire en l’utilité des mesures nationales». Par exemple, «la proportion d’enquêtés pensant que ces mesures sont utiles passe de 53 % pour les moins libéraux à 20 % pour les plus libéraux». Mais le facteur le plus prépondérant reste la confiance dans les institutions politiques (gouvernement, Assemblée nationale…), les acteurs sociaux (partis, syndicats, médias…) et dans l’adhésion à un «libéralisme culturel», qui renvoie, dans la note, à une forme de solidarité internationale.
«Résister au pouvoir et aux élites»
Sans surprise, les contraintes visant à enrayer la dégradation de l’environnement sont «peu acceptées» dès lors qu’elles touchent «le mode de vie quotidien» des Français. «C’est en France que l’on tolère le moins l’idée que le gouvernement puisse rationner la consommation d’eau, de viande, l’usage de sa voiture ou bien qu’il puisse faire payer des taxes supplémentaires sur l’énergie que ce soit sur les carburants ou le gaz.» Ce qu’on appelle en langage technique «l’acceptabilité» sociale d’une action publique.
Au final, «la France paraît payer les conséquences sur le terrain de la transition écologique de sa faible cohésion sociale et du niveau moyen très bas de confiance dans les institutions comme dans les acteurs sociaux, écrit Luc Rouban. Résister aux politiques environnementales, c’est alors, pour beaucoup, résister au pouvoir et aux élites. La liberté individuelle est brandie comme refus de l’emprise d’un système politique perçu comme inéquitable, mensonger voire corrompu.» Une sombre conclusion qui appelle à innover urgemment sur le plan démocratique.