«Je pense que la première fois que je retournerai dîner au restaurant avec des amis, je ferai une crise d’angoisse de joie». J’avais prononcé la phrase avec légèreté, pour faire un trait d’esprit, et j’ai été surprise de me rendre compte que c’était vrai. La conversation tournait autour de la réouverture, le 19 mai. Insidieusement, de la question de savoir si celle-ci était avisée, prudente ou trop précoce, le débat avait glissé sur «ce qu’on ferait le 19 mai». Si on avait «un plan». Une sorte de 31 décembre en plein printemps, en somme. «Qu’est-ce que tu as prévu pour le 19 ?» m’a demandé une connaissance croisée dans la rue. Interloquée, j’ai réfléchi. «J’irai boire un café au café», ai-je répondu – j’en rêve depuis des semaines. La connaissance m’a lancé, par-dessus son masque FFP2, un regard qui m’a paru apitoyé. Elle-même devait avoir des projets plus spectaculaires.
En attendant dans la queue du vaccinodrome du Stade de France (quelle organisation ! quelle efficacité !), mon regard est tombé sur une peinture murale : le 19 mai, 9h59 du matin, un serveur brandissant une bière sur son plateau fait face à une armée de mains tendues. Sa question : «C’est pour qui, la Corona ?». Je me suis dit que mon «café dans un café» manquait peut-être un peu de panache, en effet. Les gens font des projets. Les terrasses sont déjà toutes réservées, paraît-il. Ma libraire, cet être de lumière, a posé sa journée pour aller au cinéma. Du matin au soir. Trois, quatre séa