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Libération
Disparition

Mort de René-Pierre Boullu, figure du premier «Libération»

Journaliste à «Libé» de 1974 à 1991, pilier du service social, cocréateur du service Infos puis rédacteur en chef éphémère de «Libé-Lyon», il était toujours prêt à entamer un débat, tant dans les colonnes que dans les couloirs. Il est mort à 76 ans.
René-Pierre Boullu au centre, durant un comité de rédaction, et Gilles Millet à sa gauche, le 12 mars 1978, dans les locaux de la rue de Lorraine. (Christian Poulin)
publié le 14 novembre 2023 à 21h17

René-Pierre Boullu, journaliste pendant plus de quinze ans à Libération, était inclassable. Il adorait l’actualité, mais surtout il aimait le monde des idées et les débats sans concession. Il appréciait les pas de côté, pensait différemment, jouant les grains de sable quand tout était en ordre. Il se faisait ainsi un malin plaisir de dire le contraire quand tout le monde était d’accord. Il y a huit ans, il fut victime d’un AVC et d’une crise cardiaque qui ne lui permettaient plus d’exercer sa curiosité. Il est mort ce week-end, à 76 ans, après des années d’hospitalisation lors desquelles il a montré une force de vie peu commune.

Originaire de la région de Grenoble, étudiant en histoire dans les années post-68, militant à la Gauche prolétarienne, René-Pierre Boullu était fils d’instituteurs et résistants communistes. Il a eu un rôle important dans les premières décennies de Libération, occupant des fonctions variées, à la mesure de son éclectisme. A partir de 1974, il est ainsi rédacteur chargé du social au journal (ce qui n’était pas à Libé une tâche facile), puis responsable du personnel (ce qui était encore moins facile). Un temps membre de la direction, il lance un tout nouveau service Infos, en duo alors avec Dominique Pouchin, grand reporter venu du Monde. A l’automne 1986, il est chargé de lancer une toute nouvelle publication : Lyon-Libé. Le journal rêve alors de s’imposer dans les grandes villes, et se lance sans crainte dans une concurrence avec les grands quotidiens régionaux. Expérience éphémère, tâche impossible… Marqué par l’échec de cette tentative, le retour de René-Pierre est difficile. Il ne retrouvera jamais vraiment sa place au sein de la rédaction parisienne. Ce fut un divorce, dommageable pour tout le monde.

Boullu, comme on l’appelait, adorait lire, et le travail de relecteur. Il aimait trouver des manchettes magnifiques, comme «Tout fou Lacan», à la mort du grand psychanalyste en septembre 1981. Il écrivait ses papiers avec une précision déroutante. On se moquait parfois de ses tenues, de son pantalon en cuir. Il traînait longtemps le soir dans les locaux du journal où à tout moment il était prêt à entamer un débat.

Après ses années Libération, il a participé à une très complète biographie du magistrat Louis Joinet. Puis il s’est pris de passion pour l’étude de la Bible et des textes anciens. Lui qui avait voulu un temps devenir psychanalyste avait une érudition sans limite. A ses proches, Libération présente ses condoléances émues.

René-Pierre Boullu : l’intelligence faite homme, par Jean-Marcel Bouguereau

Ce fut un compagnon des années pionnières de «Libération». Je avais connu René-Pierre du temps où, pour compenser les pauvres salaires de «Libération», nous travaillions ensemble comme sociologues, pour étudier la crise des classifications professionnelles dans l’industrie du papier-carton ! Je l’avais tellement apprécié, avec sa culture et sa curiosité, son impressionnante capacité d’écoute, que je l’avais fait entrer au journal. Il fut l’un des artisans du premier «Libération», puis du deuxième, lorsque le journal connut sa mue après 1981. Il intégra l’équipe de direction avec Antoine Griset, Yannis Farmakis et Serge July. A ce moment-là, il fut l’un de mes adjoints avec Gérard Dupuy et François-Paul Boncour. Lorsque «Libération», pris par la folie de la diversification, se mit à créer une radio et des éditions régionales, René-Pierre dirigea «Lyon-Libération» et fut finalement contraint, en 1987, de procéder à 17 licenciements parmi les 54 salariés du titre. Comme souvent «Libération» avait vu grand, trop grand… Comme le dit Philippe Lançon, qui fit ses débuts à «Lyon-Libé», René-Pierre avait «une intelligence tellement forte qu’elle finissait par le rendre immobile comme un bouddha». Jean-Marcel Bouguereau (ancien rédacteur en chef à «Libération»)