Cher Pedro,
J’ai grandi dans un film de toi, que ma famille tournait, sans que tu le saches, au milieu des années 80, dans une ville moyenne au Nord de la péninsule ibérique. On appelait cette époque «la Movida» parce que tout bougeait différemment qu’avant la mort de Franco : les corps, les idées, l’héroïne et l’argent. Le pays s’ouvrait au néolibéralisme, à la consommation et à la communication de masse. Dans cette ville nationale catholique, dans les ténèbres, ma mère était une fille Almodóvar. La peau très blanche, des yeux sombres et brillants, trait d’eye-liner égyptien sur les paupières, des cheveux d’un noir presque bleu rassemblés si verticalement sur sa tête qu’on aurait pu parler d’une architecture capillaire, d’un grand peigne tissé avec des fils noirs, ou d’un nid de corbeaux, plutôt que d’un chignon.
Ses cheveux étaient un écran séparant le monde-devant du monde-arrière et, comme au cinéma, être devant était bien mieux que d’être à l’arrière. Ses lèvres peintes en rouge étaient assorties à son tailleur, composé d’une jupe crayon et d’une veste en tweed à double boutonnage. Chaque jour, elle s’habillait pour attendre l’arrivée de mon père. J’entendais ses talons claquer tandis qu’elle courait dans le couloir pour arriver à la porte avant que mon père n’ait le temps de l’ouvrir. C’est elle qui lui ouvrait. Alors elle, dans son Chanel fait maison, et lui, vêtu d’un bleu de travail maculé de graisse, s’embrassaient. Leur histoire, un labyrinthe de pa