Que nous disent les noms d’époque en histoire ? Un des derniers ouvrages dirigés par l’historien de la Belle Epoque Dominique Kalifa se saisit de la question. De la «Restauration» aux «années de plomb» en passant par les «Trente Glorieuses» et le «printemps des peuples», que révèlent ces chrononymes de notre rapport au passé et de sa mise en récit (1) ? Dans l’introduction, Dominique Kalifa pointe la «charge d’anachronisme», les raccourcis et les impasses inhérents à cet exercice consistant à résumer cavalièrement en un, deux ou trois mots, des séquences de plusieurs années voire de décennies, prenant le risque d’en trahir la richesse et la complexité.
Et pourtant, l’histoire ne consiste-t-elle pas, précisément, à faire tenir «un siècle en une page», comme a pu l’écrire Paul Veyne ? L’ouvrage est donc moins un plaidoyer contre l’usage des noms d’époque qu’un exercice réflexif, propre à n’importe quelle discipline scientifique, destiné à saisir les ressorts de la genèse et à analyser le «feuilleté sémantique» (Dominique Kalifa) de chacune de ces formules, dont personne ne contestera les séductions et les attraits.
La fin du siècle dernier n’échappe pas au piège : les expressions «années sida» ou «génération sida» possèdent certainement la puissance évocatrice des grands récits du passé. Prononcez une des deux formules, et vous mobiliserez instantanément un kaléidoscope d’images et de représentations d’une période à la fois familière à celles et ceux qui l’o