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Chronique Ré/Jouissances

Appelez-moi à nouveau «France», par Luc Le Vaillant

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Monologue du porte-avions de nouvelle génération, supposé remplacer à long terme le «Charles-de-Gaulle», à l’heure d’un réarmement militaire imprévu.
Le «Charles-de-Gaulles» dans le port de Toulon, en 2011. (BERTRAND LANGLOIS/AFP)
publié le 16 avril 2024 à 6h42

Pang, tel est mon nom de code ! Pang (1) veut dire «porte-avions nouvelle génération». Ce qui fait de moi l’esclave d’une mode belliqueuse aussi soudaine qu’impérieuse, quand je fus longtemps une fantasmagorie méprisée, forte de 75 000 tonnes d’acier. J’étais une chimère morte avant d’être née, un projet pharaonique renvoyé aux calendes sans trop d’esclandre, une survivance imaginaire qui jamais n’assurerait la descendance du Charles-de-Gaulle. J’étais ce rêve ancien de mammouth en fer gris que la furtivité virale et l’intelligence artificielle devaient envoyer au cimetière des éléphants. Cher à Montesquieu, le doux commerce entre nations post-modernes nombrilistes m’avait presque dématérialisé. Mais voici que Mars se remet à trucider Hermès et que l’on me sort des limbes budgétaires. Et voilà qu’on me ressuscite pour aller faire bang-bang sur les cinq océans et pan-pan sur les sept mers. Je suis le symbole long de 305 mètres du réarmement trompeté par Macron. Me voilà cheval d’orgueil d’une économie de guerre décrétée par nos autorités affolées. Je suis là pour faire pièce aux gangs russes et islamistes, sans compter les autres ennemis qui ne vont pas manquer de proliférer aux franges de l’empire. Nous pensions que les conflits étaient définitivement délocalisés, miniaturisés, euphémisés. Nous vivions déprimés par notre félicité matérielle et notre longévité médicamentée dans des sociétés qui imaginaient pouvoir encager la violence derrière les barreaux