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Libération
Chronique «Nager vers soi» (3/4)

Comment nager a fait de moi une combattante féministe, par Colombe Schneck

C’est une révolution : dépasser la plupart des hommes grands et musclés dans les couloirs de nage du haut de mes 57 ans, en maillot rouge et bonnet rose. Prendre toute sa place dans l’eau, c’est revendiquer sa parole à l’air libre.

«Poolscape #112» de Karine Laval. (Karine Laval)
Par
Colombe Schneck
Journaliste et autrice
Publié le 25/07/2023 à 15h58

Ma grand-mère paternelle était secrétaire trilingue, comme elle l’annonçait fièrement, français, allemand, hongrois ; ma grand-mère maternelle était chimiste, elle a commencé à travailler à la mort de son mari comme bibliothécaire ; ma mère est l’autrice d’une thèse en chirurgie dentaire sur les soins pour enfants handicapés, et s’est arrêtée de travailler quinze jours pour ma naissance ; mon frère devait comme moi mettre la table et la débarrasser ; à 18 ans j’ai commencé des études avec l’assurance que le combat féministe était achevé.

A 40 ans, je me suis fait virer de la télévision parce que j’étais trop vieille pour présenter une émission, et l’idée que je dirige un service ou que je sois éditorialiste n’est pas venue à l’esprit de mes supérieurs. A 50 ans, j’ai commencé à prendre des cours de crawl, et il se passa un événement révolutionnaire qui doit être l’équivalent pour ceux qui ne sont pas passés, comme moi, à côté de la lecture du Deuxième Sexe, j’ai commencé à dépasser la plupart des hommes grands et musclés, dans les couloirs de nage.

Je pensais être une femme, avoir donc un corps de femme, un corps sans envergure, un corps pas costaud, les muscles mous, et qu’il était normal que les hommes me dépassent d’un coup de bras dans l’eau. Mais, grâce aux leçons de Fanny, ma professeure de natation, il s’est passé un événement. J’arrivai