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Chronique «Philosophiques»

«Cultiver son bunker»: du désir de survie au calcul égoïste

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Face à la menace de la catastrophe, les survivalistes comptent sur eux-mêmes plus que sur l’Etat pour s’assurer un avenir. Mais quel sens donner à une vie coupée des autres, occupée à sa seule subsistance dans un monde déserté?
Des visiteurs de la «Survival expo» en mars 2018 à Paris. (Patrick Kovarik/AFP)
par Michaël Fœssel, Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique
publié le 27 mai 2022 à 7h15

Sans surprise, le salon Survival Expo qui s’est tenu à la Villette à Paris le week-end dernier a rencontré un vif succès. En plus du réchauffement climatique et des suites de la pandémie, la guerre qui s’est invitée à nouveau sur le continent européen contribue à provoquer les réflexes survivalistes. Nous ne manquons ni de raisons ni d’images qui installent la fin du monde au rang d’hypothèse vraisemblable. Comme elle a cessé d’être une révélation pleine de promesses, l’apocalypse contemporaine ne suscite plus que le désir d’en réchapper coûte que coûte.

A première vue, le survivalisme ne fait qu’actualiser les prémisses de la politique moderne. Pour Hobbes, l’origine de la société ne trouve pas sa source, comme le pensaient les Anciens, dans le désir de vivre selon la justice ou le bien. La société organisée naît de la peur de la mort violente, donc de la passion de survivre malgré les menaces que les autres font peser sur notre conservation. L’état de nature et la «guerre de tous contre tous» sont comme des images d’un monde qui vit perpétuellement au bord de sa fin. Aussi longtemps qu’un Etat souverain n’est pas en mesure d’imposer la sécurité par la force, l’humanité est en danger d’extinction. Même le bourgeois, explique Hobbes, ne va pas se coucher sans vérifier que sa porte est fermée à double tour. C’e