La sentez-vous aussi, cette pression dans la poitrine ? Comme si quelque chose d’invisible appuyait là ? Elle a porté bien des noms, cette sensation. On l’a appelée «tristesse», on l’a appelée «angoisse». On l’a appelée spleen : mot étrange, venu d’ailleurs, parfait pour dire l’étrangeté inhérente à ce sentiment d’oppression. C’est vrai que c’est étonnant, un poids pareil, là, où il n’y a rien. D’ailleurs, ce serait l’une des définitions possibles du phénomène : le poids de ce qui n’est pas là. Le poids de ce qui manque.
Billet
Ce qui pèse ainsi sur nos poitrines, dans l’éternel présent des crises, c’est le poids de l’avenir. Plus précisément, c’est le poids de l’avenir quand il se compacte, se compresse, se réduit à rien. Mais, si le futur peut se ramasser ainsi sur lui-même, comme un bout de papier que l’on froisse rageusement dans le poing, il n’en demeure pas moins dense. Lourd de tout ce qu’il y avait à vivre et qui ne sera pas vécu. De tout ce qu’il y avait à espérer et que l’on n’ose plus appeler de ses vœux. C’est cela qui pèse ainsi.
Et si nous avions fait une erreur cruciale à propos de l’avenir ? Nous l’avons défini par son inactualité. Son inexistence. Et nous l’avons considéré uniquement comme une région du temps. Si nous l’avions vu comme un endroit, peut-être aurions-nous pu le protéger comme nous nous sommes efforcés de le faire de certains lieux. Pourquoi n’avons-nous pas fait de l’avenir une réserve naturelle ? Et pourquoi n’en avons-nous pas fait un chef-d’œ