Il y a un trait qui semble accumuler de nombreuses tendances culturelles et morales contemporaines : une haine de plus en plus systématique et généralisée de l’ambiguïté. Ce n’est pas seulement le besoin de clarté qui conduit à cette étrange attitude transculturelle. C’est avant tout un sentiment de danger qui en fait l’objet d’une suspicion universelle. Pourtant, tout ce qui vit est ambigu.
Il est difficile de définir précisément ce qu’est l’ambiguïté. Etre ambigu signifie d’abord, littéralement, au moins deux ou plusieurs choses simultanément : c’est ainsi que la rhétorique antique définissait comme ambiguë toute énonciation qui pouvait avoir plusieurs significations, souvent opposées. C’est précisément pourquoi l’ambiguïté a été le grand ennemi du droit pendant des siècles. Non pas parce qu’être ambigu signifie transgresser une norme, mais parce que l’ambiguïté rend impossible la définition précise de la nature et de l’identité d’un comportement, ou inversement la signification univoque du texte de la norme. Etre ambigu, c’est rendre chaque loi littéralement inapplicable : impossible à interpréter et donc impossible à suivre.
L’ambiguïté est également l’ennemi du droit pour une autre raison. L’ambiguïté est, littéralement, la propriété de celui qui est simultanément deux choses : on est ambigu dans la mesure où l’on ne peut pas remonter d’un visage à une identité unique et univoque. Et en fait, chacun de nous l’est, même génétiquement : nous sommes l’union bâtarde et indéci