Il est tard. Très tard. Comme tous les soirs j’ai du mal à me coucher. Je crève de sommeil et pourtant il m’est impossible de franchir la distance qui me sépare du lit. Une sorte d’étrange horreur sourde et sobre me retient sur ma chaise. Il ne s’agit pas de la peur de l’obscurité. J’ai toujours pensé qu’il y a des raisons plus profondes.
Un lit est l’endroit le plus mystérieux de la maison, mais surtout l’objet le plus paradoxal que l’humanité ait inventé, et pas seulement comparé au reste des outils qui peuplent nos appartements. Bien sûr, nous l’utilisons pour les choses les plus triviales : lire, regarder le plafond, aimer, rêver. Mais un lit doit surtout permettre d’accueillir, préserver nos absences psychiques prolongées. C’est le théâtre d’une léthargie quotidienne. Il est fait pour ces longues heures où notre corps n’est guère plus qu’un pantalon abandonné sur le sol et nous cessons d’être là pour qui que ce soit. Même pour nous-même. Personne n’est plus là. Nous nous absentons, nous quittons le monde commun pour aller vivre ailleurs. Pour continuer à vivre, mais différemment.
A chaque fois, il est difficile de savoir et de raconter ce qui se passe réellement pendant ces heures. Nous appelons rêve cette expérience d’absence psychique, qui est à la fois parallèle et opposée à la veille et à la présence diurne. Nous en avons un souvenir plus ou moins vif. Nous essayons depuis des siècles d’en tirer des leçons. Et pourtant, cette force qui nous oblige, chaque jour, à disp