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Chronique «Philosophiques»

Emotions : mieux vaut être hyper que hypo

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Le diagnostic de l’hypersensibilité exprime une névrose contemporaine et le goût de l’époque pour la distance, les barrières et les murs. Sommes-nous en train de devenir allergique à l’autre ?
par Hélène L’Heuillet, Psychanalyste et professeure de philosophie à l’université Paris-Sorbonne
publié le 19 novembre 2021 à 6h23

«Etes-vous hypersensible ?». Si l’on s’amuse à entrer cette question dans un moteur de recherche, la réponse se présente sous forme d’une panoplie de tests et de listes de critères censés nous renseigner sur la quantité de nos ressentis, afin de savoir si celle-ci se tient dans une juste moyenne ou si elle est excessive. En effet, une nouvelle pathologie est née, l’hypersensibilité, qui désigne à la fois une perméabilité trop grande aux émotions, une incapacité à se défendre des agressions d’autrui, et un manque de recul vis-à-vis de ses perceptions. Si l’on admet que les catégories psychologiques d’une époque ne sont pas toutes issues d’une clinique rigoureuse mais expriment l’idéologie des sociétés qui les font circuler, on peut s’interroger sur le sens de ce diagnostic d’hypersensibilité.

Certes, des voix s’élèvent régulièrement pour plaider en faveur de la capacité à ressentir et voir en l’hypersensibilité un don à exploiter plutôt qu’une défaillance. Mais la logique est la même dans les deux cas. Bonne ou mauvaise, la sensibilité peut être «hyper». Que l’on fasse bon ou mauvais usage de l’excédent, la sensibilité peut être «trop» grande. Dans la juste moyenne, la sensibilité adoucit les mœurs. Débordante, elle flirte avec la déraison. La question est cependant d’abord de savoir en quoi pourrait bien consister ce supposé «trop» de sensibilité ? Que craint-on quand on craint de «trop» ressentir les choses ou de «trop» éprouver ce qui nous vient de l’autre ? Quelles sont le