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Chronique «Points de vie»

En amour, nous sommes tous des «amateurs», par Emanuele Coccia

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Le patriarcat s’est construit grâce aux relations amoureuses et non contre elles, si bien que la libération des genres ne peut se faire qu’en repensant l’amour. Si Eros a divisé les genres et les a mis en guerre les uns contre les autres, c’est aussi lui qui devra les recomposer sous une forme plus équilibrée.
Lors de la Marche des fiertés, à Paris en juin 2018. (Adrien Selbert/VU pour Libération)
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié le 1er octobre 2022 à 7h00

C’est à cause de lui que nous faisons tout ce que nous faisons et pensons. Et c’est grâce à lui, également, que nous ne faisons pas ce que nous ne pouvons pas faire. L’amour, sous toutes ses formes, de l’amour pour le corps d’une autre personne exprimé dans le sexe à l’attachement à une personne que nous n’avons jamais rencontrée, est la raison et la fin de toutes nos actions, sa source et son but. Bien plus que le bonheur. Pourtant, nous ne savons rien de l’amour : nous ne savons pas comment aimer et nous ne savons pas vraiment jusqu’où il est possible d’aller avec le pouvoir que l’amour transmet à nos corps et à nos esprits.

C’est en partie parce que nous l’avons toujours confondu avec un sentiment. L’amour n’est pas une émotion. C’est une force. Ou plutôt, c’est la force la plus violente et la plus imposante qui puisse affecter un être vivant, car c’est la force qui permet à la vie de se donner une forme et de prendre toutes les formes. Et face à cette force et à son usage, il est impossible d’accumuler des compétences. Nous sommes toujours des «amateurs» en amour. Débutant·e·s absolu·e·s.

Eros a été le plus grand esclavagiste, le violeur le plus odieux

D’autre part, les expériences que nous avons vécues au cours des derniers siècles ont été plus que dramatiques. Nous avons du mal à l’admettre, mais l’amour tel que nous en avons parlé et l’avons vécu a été l’espace d’une horreur. En fait, clairement, de