L’une des plus grandes interrogations du moment, sur laquelle nous n’avons pas fini de revenir, c’est celle de l’utilité. Elle revient même sous une forme inattendue qui va plus loin qu’on ne croit. La preuve que la question de l’utilité n’est pas seulement une interrogation motivée par la peur ou par l’égoïsme (ce que l’on associe trop souvent à «l’utilitarisme»), c’est que cette question aujourd’hui, en profondeur, s’inverse. Ce que nous demandons, aujourd’hui, ce n’est pas seulement ce qui peut nous être utile. Je serais bien surpris au contraire si chacune ou chacun, aujourd’hui, ne se demande pas plutôt ceci : «Comment, face à tous ces dangers, pourrais-je et pourrions-nous être utiles ?». Cela va bien au-delà de la rhétorique politique (celle de Kennedy : «Demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays»).
C’est une interrogation face à une disproportion, notre action face aux dangers du monde, qui peut être une ressource vitale ou, en l’absence de réponse, mener à un désespoir peut-être mortel. L’un des drames les plus graves de notre société et de notre politique, ce serait, précisément, que l’on ne propose plus aucune réponse, aucune voie, aucune issue, aucun engagement, à cette demande : «Comment puis-je, comment pouvons-nous être utiles ?». Et c’est un signe particulièrement grave, en effet, quand les métiers de l’utilité évidente, parfois urgente et vitale, loin de retrouver leur sens, semblent menacés de désaffection.
Il en est ainsi des métier