Lors de mon dernier voyage à New York, la veille de mon retour à Paris, l’artiste Ena Swansea m’a offert Great Demon Kings, A memoir of poetry, sex, art, death, and enlightenment, les mémoires du poète et artiste John Giorno (1936-2019), qu’elle était en train de lire. Elle a insisté pour que je prenne son livre : «Je ne l’ai pas encore terminé, je ne sais pas ce que je vais faire ce soir… je vais sortir et le racheter.» Cet empressement aurait dû m’alerter sur le fait que cette lecture allait finir par être plus révélatrice que ce que l’on attend d’une biographie. J’ai commencé à lire Giorno alors que l’avion décollait de l’aéroport John F. Kennedy. Lorsque nous avons atterri à Charles-de-Gaulle, mon image de l’histoire de l’art de la seconde moitié du XXe siècle avait complètement changé.
Ce qui a modifié ce que je savais de la scène artistique de ces années-là, ce n’est pas tant d’apprendre que le créateur de Giorno Poetry Systems était le fils d’une riche famille d’immigrés italiens et que, s’il a pu se consacrer à l’art simultanément avare et luxueux de la poésie, il l’a fait, pour le dire dans les termes de Virginia Woolf, parce qu’il était toujours assuré d’avoir une chambre à lui. Ce qui allait transfigurer le récit de l’histoire de l’art qu’on m’avait enseigné serait de découvrir avec qui Giorno avait partagé non seulement sa chambre mais surtout son lit : A