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Chronique «Points de vie»

Il faut des chansons pour connaître l’amour, par Emanuele Coccia

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Toutes les connaissances peuvent se transmettre… sauf l’expérience de l’amour. Et c’est pour ça qu’on en fait des tubes : aimer, c’est toujours chanter l’air que quelqu’un d’autre a écrit pour nous.
«Amour et Psyche» de Benedetto Luti (entre 1695 et 1700). (©NPL/opale.photo)
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié aujourd'hui à 7h40

La plupart de nos connaissances nous sont transmises : nous ne sommes presque jamais dans la position d’Adam et Ève. Enfants, nous avons appris une grande partie de ce que nous savons grâce à l’enseignement direct de nos parents ou à leur exemple. Plus tard, ce sont les enseignants rencontrés à l’école et en dehors qui nous ont initiés au monde. Quelqu’un nous prend par la main, nous montre la réalité et nous permet d’en faire l’expérience. C’est d’ailleurs pour cela que nous pouvons parler : quelqu’un avant nous a vu, entendu, goûté le monde, l’a en somme nommé et ainsi rendu connaissable pour nous. C’est pourquoi l’idée de la connaissance comme relation non médiatisée, directe entre un sujet et un objet, est un mensonge : toute connaissance ne devient vraie que lorsque nous pouvons la transmettre. Ou plutôt : elle devient vraie dans la mesure où nous pouvons la transmettre. Une découverte dont nous ne pourrions faire part à personne serait indiscernable de l’hallucination ou de la folie.

Pourtant, il existe une catégorie de connaissances qui ne peut être transmise séparément du flux de la vie qui la génère. Les Grecs anciens appelaient initiations ou mystères cette condition curieuse dans laquelle une expérience nous donne accès à une connaissance qui n’existe que dans le temps où elle se produit. Il ne s’agit pas d’un secret indicible, mais d’un savoir qui ne peut sortir de l’expérience qui le renferme : quelque chose qui s’apparente à un souvenir immémorial qui brille uni