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tribune

«Je vis libre mais je suis prisonnière de mon exil», par l’actrice iranienne Mina Kavani

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Près de deux ans après le mouvement «Femme, vie, liberté» déclenché en Iran par la mort de Mahsa Amini, l’actrice et autrice d’un spectacle sur son parcours raconte la distance qui la sépare de son pays depuis qu’elle l’a quitté en  2013 et évoque la vie d’avant et celle d’après.

Mina Kavani à Paris le 5 septembre. (Emma Birski/Libération)
Par
Mina Kavani
actrice
Publié le 05/09/2024 à 18h47

Onze années sont passées. Onze années depuis mon dernier voyage dans mon pays, l’Iran. Aujourd’hui, je suis une autre femme et pourtant, je suis la même. On me demande souvent : «Ça ne te manque pas ?» Et j’ai toujours du mal à répondre. J’imagine que si l’on posait cette question à une personne qui a perdu une jambe ou un bras, elle aurait la même difficulté à répondre, car la question est tellement absurde. Le manque est anormal, tellement contre-nature que tu n’arrives même plus à savoir où placer cette douleur, parmi les autres douleurs. Simplement, tu deviens anormale, hors norme, tu ne t’en rends pas compte mais tu essaies d’arrêter le temps, de ne pas le voir passer, ce temps qu’on te vole. Car pendant ce temps, tu rates des choses, des êtres, et le fait de l’imaginer, cela te rend folle.

Ton rapport au temps, aux lieux et aux êtres change. Tu es hantée, par des odeurs, des couleurs, des images, des voix, par des êtres du passé… et tu n’arrives pas à construire ta vie, mais tu essaies d’être forte, parce que tu es forte. Tu as tout quitté, pour ta passion, pour ton art, pour tes rêves. Et tu ne t’es pas laissé pourrir par leurs mains, laissé mourir dans le désespoir. Tu as su dire non. Non ! Je ne veux pas être cette femme soumise que vous aimeriez que je sois ! Je ne veux pas être une femme censurée