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Libération
Chronique de Paul B. Preciado

La manifestation est une étrange opération

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La force politique d’une manifestation se mesure au nombre de corps qui y participent, aux nombres de cris qu’elle libère. Cette alliance éphémère et non violente de corps vulnérables transforme ceux qui n’ont pas de pouvoir en une institution mobile sans constitution, une force capable de renverser un Etat.
Première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, à Paris, le 19 janvier 2023. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)
publié le 21 janvier 2023 à 5h37

Rencontrer des inconnus qui subissent l’oppression ou la douleur politique, même si elle ne touche pas tout le monde de la même manière, pour changer les conditions cognitives, sociales, politiques ou économiques qui la produisent. Inventer, donc, une situation encore inconnue. Agir ensemble, mettre son corps à côté du corps de l’autre, même si nous n’avons jamais rien fait ensemble avant de faire ce que nous faisons maintenant, même si nous ignorons exactement de quoi il s’agit et comment définir ce qui agit à travers nous. Nous ne sommes pas né·e·s au même endroit, nous n’avons pas le même nom de famille, peut-être ne parlons-nous pas la même langue. Mais nous pouvons accomplir quelque chose ensemble que nous n’aurions jamais accompli séparément. Une manifestation est une forme étrange de coopération dissidente dans laquelle un groupe de corps agissent ensemble et partagent les risques et les avantages de leur action commune. Hannah Arendt parle d’«actions concertées». Judith Butler de «corps alliés». Nous pourrions également dire : intimité politique entre des corps désirants étrangers.

Union stratégique de corps vulnérable