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Chronique

La mondialisation des sentiments, par Michaël Fœssel

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Comme celles du réchauffement climatique ou des migrations, les images de la guerre nourrissent la conscience d’habiter un seul et même monde. Ce cosmopolitisme du désastre peut encore changer, et viser la paix.
Un Palestinien est au téléphone près des bâtiments détruits par les bombardements israéliens sur la bande de Gaza, à Rafah, le dimanche 22 octobre. (Hatem Ali/AP)
par Michaël Fœssel, professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique
publié le 26 octobre 2023 à 6h08

On parle beaucoup ces temps-ci de l’«importation» du conflit israélo-palestinien en France. Cette présentation de la manière dont une guerre apparemment lointaine s’invite dans nos contrées est équivoque. Elle incrimine des populations déjà présentes, condamnant celles-ci à reproduire ici leurs attachements, et parfois leurs rages, à l’égard de ce qui se produit là-bas. On a beaucoup dit que la France accueillait les communautés juive et musulmane les plus importantes d’Europe. C’est un fait qui explique sans doute pourquoi il existe ici plus qu’ailleurs une sensibilité aiguë aux violences commises au Proche-Orient. Mais cela n’implique nullement le désir de ces communautés d’«importer» une guerre impitoyable sur un sol dont il est bon de rappeler qu’il est le leur.

Employée dans ce sens, l’image de l’«importation» est d’autant plus trompeuse qu’elle suggère que les violences sont ailleurs dans le monde et qu’il serait loisible à chacun d’entre nous (et pas seulement aux juifs et aux musulmans) de les tenir à bonne distance de nos préoccupations. Or, un monde dont les événements lointains n’auraient aucun impact sur nos vies n’existe plus depuis longtemps. Au XVIIIe siècle,