Menu
Libération
Chronique «Philosophiques»

La rhétorique cynique des «couloirs humanitaires»

Radicalisant ce qui s’était déjà produit lors du siège d’Alep, le pouvoir russe confisque les zones d’immunité pour les civils ukrainiens. Depuis quand la délimitation de zones dédiées au combat autorise-t-elle à vider un pays de ses habitants pour pouvoir s’en emparer ?

ParHélène L’Heuillet
Psychanalyste et professeure de philosophie à l’université Paris-Sorbonne
Publié le 25/03/2022 à 3h19

On a longtemps cru pouvoir établir une différence simple entre guerre conventionnelle et terrorisme, la première désignant l’affrontement d’armées régulières, le second opposant des groupes armés irréguliers à un Etat. On a également souvent pensé que l’usage de la terreur comme arme de guerre venait toujours «d’en bas», de peuples contestant l’autorité politique ou voulant transformer l’ordre mondial, et que la terreur «d’en haut» se limitait à la politique intérieure des gouvernements despotiques ou totalitaires. La guerre que la Russie mène à l’Ukraine nous oblige à remettre en question ces pseudo-évidences, et nous confronte à un devenir terroriste de la guerre conventionnelle.

Ce qui distingue en principe une guerre classique d’une guerre irrégulière réside notamment dans la délimitation ou non de zones de protection pour tous ceux et celles qui ne prennent pas effectivement part au conflit armé. Dans un Etat en guerre de manière conventionnelle, se dessinent des territoires d’intense menace où se déroulent électivement les combats et où on peut mourir, et des lieux dans lesquels on doit pouvoir sinon vivre normalement, du moins survivre à peu près en sécurité. L’utilisation