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Chronique «Points de vie»

L’arche de Noé dans chacun de nos souffles

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L’anthropomorphisme est moins l’extension de la sphère de l’humain que sa contamination par une myriade d’autres formes de vie. Si les plantes pensent, nous n’humanisons pas l’existence végétale, nous «végétalisons» la pensée.
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié le 20 mars 2021 à 8h24

Un interdit d’origine morale qui nous empêche d’affronter le problème, au lieu de nous aider à le résoudre : voilà une bonne définition du tabou. L’un des tabous les plus puissants de la fausse conscience écologique (ou supposée telle) qui se répand dans le débat contemporain est celui de l’anthropomorphisme : l’interdiction croissante de toute forme de tendance, naturelle, à reconnaître à des espèces vivantes différentes de nous ce qui caractérise l’humain et à projeter sur elles une expérience qui n’est que la nôtre. C’est de l’anthropomorphisme que de dire que les plantes pensent et sont dotées d’une conscience de soi – c’est ce qu’ont répété les prêtres du temple devant les recherches de neurobiologie végétale. C’est de l’anthropomorphisme que de penser que les bactéries sont dotées de volonté ou d’un sens du goût. Comme pour tout précepte arbitraire, dans ce cas aussi, vouloir adhérer absolument à l’interdiction reviendrait à transformer sa vie en cauchemar. Parce que le problème, c’est que dès qu’on essaie de réfléchir, il est difficile de trouver quelque chose qui ne soit pas, dans une certaine mesure, une forme d’anthropomorphisme. Même dans les sciences. Si l’on y regarde de plus près, la notion de concurrence et de compétition – qui vient de la psychologie et de l’économie – est une forme d’anthropomorphisme : comment peut-