Menu
Libération
Chronique

L’aridité décomplexée du cœur, par Lola Lafon

Article réservé aux abonnés
Face aux violences qu’on subit ou dont on est témoins, l’indifférence devient un refuge. Est-elle réversible ou sacrément contagieuse ? Et en sommes-nous déjà tous atteints ?
Il y a quelques jours, dans le métro, une jeune femme bien mise semble très agacée, elle aura du retard : «Un type a eu la bonne idée de se suicider.» (Dimitar Dilkoff/AFP)
par Lola Lafon, écrivaine
publié le 19 avril 2025 à 7h57

C’est une histoire qui se répète, des photos, des articles, des vidéos sur YouTube en témoignent et depuis plusieurs mois, cette histoire-là me hante : celle d’un cerf traqué par une meute de chiens et de chasseurs participant à une chasse à courre. L’animal est hagard, à bout de souffle, la meute se rapproche, il fonce à la recherche d’un chemin, d’un abri ; la forêt elle-même ne peut plus rien pour lui, une route la traverse, qu’il emprunte. Il zigzague au milieu des voitures, elles l’évitent de justesse. Il va, galopant jusqu’aux rues désertées d’une petite ville à l’aube, titubant, claudiquant, désorienté, immense silhouette échappée d’un autre temps. Etranger à tout, sans plus de repères, haletant, il ralentit, les chasseurs sont tout proches, bientôt ils l’encerclent : ils l’achèveront dans un jardin, sur un bout de trottoir, ou, parfois, consentiront à le «gracier», momentanément… Chaque automne, un cerf acculé surgit dans les rues de Senlis, de Rambouillet, de Chantilly. Je ne sais pas pourquoi cette histoire, cette errance animale me hante. Elle est entrée par effraction dans mon imaginaire et s’y est installée, impossible de la déloger. La course d’un animal terrorisé, rendu fou d’angoisse, qui fuit sans savoir où aller et qui finit par s’effondrer sur le bitume, rompu. Sans doute y a-t-il dans cette course folle comme le reflet de quelque chose que l’on reconnaît, au moins symboliquement. Le sentiment, ces derniers temps, d’être pourchassés par des forces impitoya