Je ne sais pas si vous partagez avec moi, depuis quelques mois, un sentiment d’irréalité, la sensation, à la fois paralysante et fébrile d’être à l’intérieur d’un jeu vidéo qui est en train d’être reprogrammé en temps réel et dans lequel, bien que l’on continue à jouer avec le même avatar, les règles du jeu et le monde partagé sont en train d’être brutalement modifiés. Une partie de ce sentiment de déréalisation, ce décalage avec ce que nous avons eu l’habitude d’appeler «la réalité», a été amplifiée ces derniers jours par la disparition ou la modification du contenu de milliers de pages web sur la crise climatique, la justice sociale, la santé publique ou les discriminations raciales, sexuelles et de genre des départements fédéraux et des entités scientifiques aux Etats-Unis. Si les textes officiels et scientifiques étaient jusqu’à maintenant pour nous comme les Dix Commandements et l’écran la surface sur laquelle la loi était écrite, on pourrait dire que l’écran partagé du monde est sur le point d’être brisé et qu’une nouvelle guerre pour le contrôle du système opérationnel commence.
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Notre angoisse n’est donc pas psychologique, mais politique. Nous vivons la plus grande rupture épistémique depuis la Renaissance. Les machines de production de la vérité sont en train de muter et, avec elles, notre sens de la réalité et nos possibilités de vie et de mort. Un sentiment comparable d’irréalité a dû être ressenti par les survivants indigènes de la péninsule du Yucatán lorsque, en