La conversation nationale a sombré depuis une quinzaine de jours dans une confusion telle qu’elle en est devenue illisible. Les faits n’y font plus autorité ; ils flottent, concurrencés par les récits, les démentis, les rumeurs, les fables des communicants. Dans ce théâtre d’ombres, la rumeur devient méthode de gouvernement, et la parole du chef de l’Etat se mêle à celle des influenceurs et des spin doctors.
Cette situation m’a remis en mémoire une petite histoire que le romancier américain David Foster Wallace (1962-2008) racontait aux étudiants de Kenyon College il y a vingt ans. Deux jeunes poissons nagent côte à côte. Au cours de leur promenade, ils croisent un poisson plus vieux qui nage en sens inverse. Le vieux poisson leur fait un signe de tête et leur dit : «Salut, les gars. L’eau est bonne ?» Les deux jeunes poissons continuent à nager, puis l’un d’eux s’arrête et dit : «C’est quoi, l’eau ?»
Ce discours a été publié et traduit en de nombreuses langues. Time Magazine l’a classée comme l’un des meilleurs débuts de discours jamais prononcé. L’histoire est devenue virale et ce pour plusieurs raisons. Elle tient en quelques mots, se transmet facilement et elle peut faire l’objet d’interprétations multiples, philosophique, psychologique, politique, écologique…
Mais surtout elle touche à un problème crucial de notre temps : le contrôle de l’attention humaine. Le 21 mai 2005, alors que Wallace prononçait son discours, l’histoire était en train de