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Libération
Chronique

Le féminisme sans «oui mais», par Lola Lafon

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Après les avancées de #MeToo, on sent déjà venir le backlash, la contre-offensive qui dit en substance que le mouvement encourageant la prise de parole des victimes va un peu trop loin. Que les droits, on en a bien assez. Que si ça continue, on va finir par être trop égales.
En 2022, à Nantes, lors de la Journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles organisée par le collectif #NousToutes. (Maylis Rolland /Hans Lucas. AFP)
par Lola Lafon, écrivaine
publié le 3 mars 2023 à 15h59

Nous, enfants des années 70 ou 80, avons cru en une fiction. Un récit rassurant, dans lequel nos droits étaient acquis : nous serions les égales de nos frères, de nos amis. Le féminisme semblait désuet : il appartenait à nos mères. Les marques comme les chansons vantaient un féminisme light, nettoyé de toutes velléités révolutionnaires, nous enjoignant à «croire en nous-mêmes». Just do it. Ce récit, je l’ai embrassé avec un enthousiasme naïf. Bien sûr, quelques détails auraient dû m’alarmer : jouir et faire jouir se conjuguait à l’impératif, une norme de plus ; à l’injonction d’être mince s’ajoutait celle d’être musclée, et l’«horloge biologique» que brandissaient les magazines féminins n’était qu’une nouvelle façon de soumettre le corps des femmes à une date de péremption.

Dans les années 90, les jobs que je décrochais étaient systématiquement précaires et exigeaient que je sache marcher en hauts talons : serveuse, vendeuse, hôtesse d’accueil… La grande fable de l’égalité homme-femme aimait mettre en avant ses rares gagnantes, des lièvres qui nous faisaient courir plus vite encore. Vers quoi, pour «arriver» où ? On ne savait pas. Les statistiques n’en ont rien à faire de la fiction : à 23 ans, ma vie, comme celle de tant d’autres, est devenue une statistique : en une soirée, j’ai été expulsée de la fable. Je faisais désormais partie des victimes de viol. Et comme deux vi