Pendant des années, je n’ai pas su cuisiner. Ce n’était pas une forme d’ignorance partielle. C’était une étrangeté radicale à l’ensemble des processus qui permettent à certaines parties du monde de devenir comestibles. J’ignorais comment éplucher et couper un oignon. Je n’avais aucune idée que les oignons étaient un ingrédient ordinaire des plats que je mangeais tous les jours : je n’avais aucune idée de ce qu’était un ragoût ou un bouillon.
L’éducation, liée à mon genre, que j’ai reçue comportait d’énormes lacunes, sur tout ce qui concerne les soins personnels et l’autonomie, et pas seulement l’alimentation. Le fait que tout individu humain ait besoin d’agir et surtout de transformer la matière et l’espace qui l’entourent pour se nourrir semblait être une vérité trop complexe et trop ésotérique pour être révélée à l’adolescent socialement inadapté que j’étais.
Le problème n’était pas seulement moral ou cognitif. Ne pas savoir cuisiner signifie, littéralement, ne pas être dans le monde, être encore en deçà de toute relation réelle qui nous lie à tout ce qui fait partie de la planète. L’ensemble des gestes, des pratiques, des saveurs et des idées que nous appelons cuisine ne sont pas seulement l’expression du besoin de survie physique et biologique, et ne sont pas un simple ornement éphémère et secondaire de certains moments de notre journée.
La cuisine est à la fois la réalité et le symbole de notre relation au monde. Nous ne pouvons être et devenir le monde qu’en cuisinant : u