Le XVIIIe siècle a inventé le despotisme éclairé, forme de paternalisme déjà dénoncée par Kant comme despotisme aggravé et non atténué : «Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants, […] est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir.» Le libertarian paternalism – dont la traduction française par «paternalisme libertaire» laisse rêveur – échappe-t-il à cette condamnation ? Sans nul doute pour Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein qui le décrivent dans Nudge. Comment inspirer la bonne décision. La méthode consiste à donner un petit «coup de coude», selon le sens littéral de nudge, pour «inspirer la bonne décision» et «influencer dans la douceur les comportements».
Au XVIIIe siècle, c’est le bonheur qui paraissait de toute évidence une «bonne» chose. Il fallait alors entendre par bonheur la satisfaction la plus complète qu’on puisse imaginer de ses aspirations personnelles et comme membre d’une collectivité. Kant se montrait déjà hostile à ce ravalement de la vie humaine à une jouissance sans désir, puisqu’il n’était pour lui pas de bonheur possible sans libre poursuite d’une fin qui nous soit propre. Aujourd’hui, le principe de bienveillance en politique ne semble pas déroger à ce principe libéral en vertu duquel chaque sujet peut viser la fin qui lui paraît bonne. Mais il a pris une autre forme, tout aussi despotique. Le raisonnement est implacable : étant donné