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Chronique «Points de vie»

Le pouvoir politique de chacun·e

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Sans lui, on ne peut rien faire d’autre que subir le pouvoir des autres. Seul le compromis est l’essence même de l’action politique : la tentative de trouver une conciliation entre les désirs de toutes et de tous.
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié le 8 juillet 2022 à 4h35

Pendant des siècles, il a été l’élément implicite de toute pensée politique. On en parlait en termes instrumentaux : c’était ce qui permettait de répondre aux besoins de la communauté. On parlait surtout de son économie spécifique, le problème étant de savoir à qui – c’est-à-dire à combien de personnes – et comment distribuer son exercice. Le pouvoir n’était pas le problème : il était la clé de la solution de tous les problèmes. C’est précisément pour cette raison que le modèle classique de toute pensée politique, pendant des siècles, a été le speculum principis : il s’agissait de se mettre du point de vue de celui qui a le pouvoir (le prince) afin de comprendre de qui on le prend, comment on peut le conserver, à qui on peut le confier, mais surtout ce qu’on a l’intention de faire lorsqu’on l’a. La question politique fondamentale a été : que faire, comment transformer le réel et le présent à partir du moment où j’ai le pouvoir de le faire.

Puis quelque chose a changé et tout s’est inversé. Depuis au moins un demi-siècle, le pouvoir est devenu une sorte de scorie radioactive dont il faut surtout se débarrasser et ne pas toucher. L’équivalent du glyphosate dans la vie humaine. On en parle en termes d’ontologie : il n’est plus l’attribut d’un quelconque sujet, il n’est plus la puissance qui rend possible toute action et qui doit donc être garantie dans chaque individu comme dans chaque communauté, il est une substance autonome qui a ses attributs spécifiques qui n’apparti