C’était un soir de confinement ou de couvre-feu récent. Sur une chaîne publique passait Paris, Texas, que depuis des semaines je voulais revoir. Rien de fou : Paris, Texas est visible sur toutes les plateformes Internet, je peux le voir quand je veux. Je peux le louer, l’acheter, le voir même gratuitement, si je veux, en deux ou trois clics astucieux. Mais tout d’un coup le film était là, diffusé à une heure précise, sur un site auquel je pouvais sans difficulté me connecter. Je n’avais plus qu’à faire cette chose presque oubliée : m’adapter à l’horaire indiqué. Situation plus jamais vécue depuis longtemps : c’était à moi de régler mon emploi du temps sur le film, et non l’inverse. J’étais doublement contraint : d’attendre d’abord jusqu’à l’heure dite; de veiller ensuite à ne pas en rater le début.
J’ai pensé que Paris, Texas, ce soir-là (plus exactement la diffusion de Paris, Texas, sur une chaîne précise, à une heure précise, non négociable), c’était le réel. La preuve qu’au-dehors de moi continuait d’exister une réalité qui me résistait, sur laquelle ma volonté n’avait pas de prise. Regarder Paris, Texas, ce soir-là, c’était renoncer d’abord à ma réalité individuelle (l’infinité d’autres films que j’aurais pu regarder, à l’heure que j’aurais choisie, l’infinité d’émissions que j’aurais pu écouter en podcast, l’infinité de livres que j’aurais pu lire, etc.). Pour une fois je n’avais pas à choisir, seulement à adhérer. J’étais partie d’une