L’une des expériences les plus curieuses liées à la paternité est de comprendre de ce que signifie être un fossile. Un père, de fait, est une vie fossile, au sens propre et figuré du terme. Car avoir une fille ou un fils, c’est d’abord et avant tout devenir une vie fossilisée dans son corps : ainsi mon ADN, ainsi que celui de sa mère, et celui d’une chaîne infinie de vies qui ont précédé et rendu ma naissance possible existent désormais dans les cellules de ma fille comme une ammonite qui ne pourra jamais se réveiller en tant que telle, sauf en se transformant en quelque chose de différent.
Mais il y a plus. Car au fur et à mesure que j’interagis avec elle, découvrant lentement ses goûts, suivant de loin ses petites mais déterminées obsessions, devinant ses fantasmes, je me rends compte face à ma fille que mon esprit et ma culture sont dans un état de fossilisation avancé. Ce que nous appelons parfois l’histoire, après tout, est cet étrange processus par lequel la nouvelle génération embaume et entoure involontairement d’ambre les idées, les amours, les passions de celles qui l’ont précédée. Il me suffit parfois de regarder un dessin animé pour m’en rendre compte : car si le monde d’où parle la série préférée de ma fille m’apparaît comme venant du futur, ce n’est pas parce que c’est de la science-fiction. C’est mon esprit qui est en train de se transformer en trilobite. Réaliser que l’on devient fossile, toutefois, n’a rien de tragique ou de triste : c’est comprendre que la v