Pendant un long voyage en train, j’ai voulu me pencher à nouveau sur l’immense masse de messages archivés dans mon téléphone. J’ai découvert que les messages auxquels je tiens le plus ne sont ni les textos ni les messages vocaux de mes proches. Ce sont les images : des photographies, des mèmes, des vidéos, des posts Instagram envoyés pour rire ensemble. La surprise était grande. Si un jour on voulait recueillir dans un seul volume les messages échangés par les êtres humains de notre temps, on verrait surgir face à nos yeux des échanges épistolaires qui ressembleraient moins à des livres qu’aux parois d’une salle de musée remplie d’images disparates, ou d’énormes atlas iconographiques, de moodboards partagés.
Nous y réfléchissons à peine mais nos téléphones, inventés pour permettre à la parole de voyager loin de notre corps sous forme de voix, sont devenus d’abord des télégraphes, puis des «télicones» : des instruments à travers lesquels nous parlons avec des images. Ces images ne sont pas, comme souvent dans le passé, des signes de mots. Elles sont devenues nos mots. Nous avons construit nos smartphones surtout pour cela : faire des images la matière et la forme de nos conversations. Nous avons cessé de les contempler : nous parlons en image.
Cette transformation n’a rien d’extraordinaire. Nous vivons dans une culture qui a abandonné depuis longtemps l’idée que la parole et le langage verbal (peu importe qu’il s’agisse de voix ou d’écriture) sont les véhicules exclusifs