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Chronique «écritures»

Les lueurs des mots de janvier, par Lola Lafon

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En ces temps de guerre, de révolutions réprimées, de lois assénées à coup de 49.3, pourquoi et comment se souhaiter quoi que ce soit ? C’est précisément parce que rien, en ce début d’année, ne semble possible, qu’il faut persévérer et prendre à bras-le-corps les mots fatigués : les vœux.
«Pourquoi, comment se souhaiter quoi que ce soit en ce moment ?» (francescoch/Getty Images)
par Lola Lafon, écrivaine
publié le 7 janvier 2023 à 7h09

Il se lève posément de son strapontin comme pour un discours, lisse son pantalon du plat de la main et, aux voyageurs tout autour, déclare : Ça / n’est / pas / possible / ça / n’est / pas / possible. Il tonne, ouvrant largement les bras, comme s’il nous invitait à conspuer l’impuissance d’un dieu quelconque, pas / possible / ça ! La phrase tourne en boucle, mêlée aux grincements du métro, une scansion de fer. Ses imprécations créent le vide autour de lui. On l’évite. On le fuit, je le fuis, je traverse tout le wagon de métro dans l’espoir de ne plus l’entendre, ses mots sont les miens, les nôtres : bien sûr qu’on le sait, que ça n’est pas possible, ça. Chacun d’entre nous porte son «ça», mais on le tait, on l’enfouit, surtout au moment des célébrations de fin d’année où on se doit d’afficher allégresse et sérénité, quelle tâche impossible. Les «fêtes» nous vrillent le cœur, elles écorchent, épuisent, qu’on s’y jette avec l’espoir de les «réussir», de retrouver une féerie fantasmée datant de notre enfance, ou qu’on les contourne.

Janvier ferme la porte au nez du faste clinquant de décembre

Ce que les «fêtes» célèbrent est une addition de normes, une impitoyable suite de cases à cocher, affectives comme économiques : famille heureuse, enfants photogéniques, appartement décoré, cadeaux de goût, mets d’exception. L’injonction à être réunis et heureux de l’être nous laisse un peu sonnés aux premiers jours de l’année nouvelle. Janvier est un mot dérivé de Janus, nom du dieu des portes, des transitions, des passages et des commencements dans