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Points de vie

Les pieds dans le ciel

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Chronique «Points de vie»dossier
Libérés de l’obsession du sol nous pourrions nous considérer comme des nuages ou des vents : des êtres libres qui ne se laissent jamais prévoir, qui ne cherche plus à dominer, mais juste à s’acclimater.
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié le 19 septembre 2021 à 7h30

Nous sommes obsédés par le sol. Nous nous donnons une identité en fonction de la portion du sol qui a hébergé notre venue au monde. Nous mesurons la propriété privée à partir de la géométrie du sol. Nous prétendons avoir des racines qui nous relient à lui. Et pourtant notre véritable espace de vie n’est pas le sol, mais le ciel : en effet, tout l’espace qui existe de la plante de nos pieds jusqu’aux frontières de la Voie lactée et bien au-delà c’est déjà du ciel. Il n’y a aucune solution de continuité ni un changement radical de texture : cette immense clairière composée par des éléments en mélange perpétuel et dans laquelle nous pouvons circuler librement héberge, en plus de notre personne, les nuages, les oiseaux et les autres animaux d’autres planètes. Nous ne nous aventurons pas trop à l’intérieur car une force nous retient, mais malgré notre petitesse nous sommes de simples colocataires du soleil et des autres étoiles. Nous prétendons être attachés à la terre, et pourtant nous n’«entrons» que rarement dans le sol… Nous nous déplaçons avec une portion de ciel qui nous entoure, qui permet notre mouvement et – plus important encore – notre respiration. Nous sommes constamment en ciel, même si la plupart du temps nous en occupons une portion minimale, celle que nous avons apprivoisée.

Cette prise de conscience est importante non seulement car elle change radicalement les idées que nous avons sur notre identité, mais aussi parce qu’elle nous libère des lourds devoirs q