«On ne peut pas savoir ce que c’est que le bonheur, puisqu’on ne vit pas.» Il faut écouter cette femme parler du droit au bonheur, celui dont on la prive et dont on prive ses enfants. Nous sommes dans les années 1950 ou 1960, dans l’appartement ouvrier d’une ville laborieuse de France. Il faut voir et écouter Retour à Reims [fragments], documentaire diffusé sur Arte (1). Adèle Haenel y lit des extraits du récit au succès fulgurant que Didier Eribon a consacré à ses origines ouvrières, au parcours de ses parents, à leurs corps épuisés par la chaîne et les ménages réalisés dans les maisons bourgeoises (2). Elle y raconte la désagrégation d’une identité ouvrière qui prospérait à l’ombre du Parti communiste, en partie prise en charge par un Front puis un Rassemblement national venu occuper un terrain abandonné par une gauche de gouvernement convertie aux «réalités» de la vie économique une fois arrivée au pouvoir en 1981.
La lecture dépouillée de la comédienne est ponctuée, débordée plutôt, d’images et de sons tirés d’archives audiovisuelles extraordinaires, sidérantes. De celles qui vous scotchent à l’écran, de celles qu’on ne peut que retranscrire, tout en regrettant que l’écrit dénature et trahisse tout ce qu’une voix porte d’épuisement, de douleur, de frustration. Frustration de l’amant, du père de famille, de l’