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Chronique «Ecritures»

Les versions de soi qu’on préfère taire sont peut-être celles qu’on devrait chérir, par Lola Lafon

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Loin d’un monde régi par des algorithmes, de l’illusion d’une «meilleure version de soi» et d’une «meilleure version de la France», nous sommes une addition de gracieuses incohérences, de penchants illogiques. De perpétuelles ébauches.
Mais où se cache-t-elle, cette version formidable ? Est-elle enfouie sous des brouillons de ma personne, un désordre de variantes peu recommandables ? (Julie Cockburn)
par Lola Lafon, écrivaine
publié le 19 avril 2024 à 16h14

C’est un message dans ma boîte mail, un spam qui m’affirme qu’il y aurait, en moi, une «meilleure version de moi-même». Et quelques séances de coaching devraient me permettre d’y accéder. La proposition est intrigante : une chasse au trésor intérieur, payante en trois fois.

Mais où se cache-t-elle, cette version formidable ? Est-elle enfouie sous des brouillons de ma personne, un désordre de variantes peu recommandables ? A l’image de cette «moi», qui, en classe de 4e, imitait à la perfection, sur les carnets de notes, la signature de ses parents ?

Et à quoi ressemblerait une «bonne» version de soi ? Serait-ce celle qui contente nos parents, nos enfants, notre employeur ou, au contraire, celle qui les désespère ? Est-ce celle qui s’applique à cocher toutes les cases socialement désirables, famille, carrière, enfants ? Ou est-ce l’errante, la rageuse intérieure qui ne cède jamais ? A moins que l’élue ne ressemble à un enchevêtrement de toutes celles-là.

Aller à la recherche d’un soi-même très amélioré est, il faut le concéder, un projet tentant. Même si, en filigrane, on peut y lire la promotion d’une autoévaluation permanente, toute entrepreneuriale. Ainsi, on jaugerait de son être au monde comme on estime son parcours professionnel.

Sauf qu’on ne fait pas carrière d’existence ; ni nos joies ni nos tourments ou nos amours ne font l’objet d’un CV. Et on ne peut s’évaluer comme on le fait d’un hôtel ou d’un coiffeur. Quelles que soient les notes qu’on s’attribue, il n’y aur