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Chronique «Points de vie»

L’idéal de pauvreté ? Un vœu pieux, par Emanuele Coccia

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Avion, smartphone, alcool… Renoncer à ce qui est considéré comme banal par les autres, c’est prouver sa supériorité morale à la façon des saints du Moyen Age. Nous n’avons plus besoin de la sainteté, qui consacre le prestige et le pouvoir, mais de la justice, qui produit la banalité du bien.
«Saint Jérôme en pénitence, dans le désert» (1521), de Joachim Patinir, peintre hollandais (1480 (?)-1524), au musée du Louvre, Paris. (Aurimages)
par Emanuele Coccia, philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)
publié le 24 février 2024 à 5h49

Depuis quelques années, on parle beaucoup de renoncement en Europe. De plusieurs côtés, on propose que la solution à nos maux consiste en l’acte de renoncer volontairement à quelque chose : à prendre l’avion, à consommer de l’alcool, à avoir un téléphone portable, à vivre dans des métropoles.

Techniquement, il s’agit d’exhortations morales ou de sermons et non de véritables projets sociaux : il est impossible de traduire le renoncement en un fait politique. Politiquement, «renoncement» équivaut à interdiction, et l’interdiction d’un droit ou d’un bien, de ses contrefaçons, de son commerce illégal (qu’il s’agisse d’alcool, d’avions, de téléphones ou de villes) suppose l’usage d’une violence inouïe, que les Etats n’ont pas et que personne ne souhaite en réalité. L’interdiction d’un bien dans un monde globalisé qui ne l’interdit pas est politiquement ridicule autant qu’inefficace.

C’est pourquoi ces appels et ces revendications s’accompagnent si souvent de l’ostentation d’un sentiment de fierté : renoncer à quelque chose qui est considéré comme banal par les autres signifie vouloir prouver une supériorité morale sur ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas