Nous sommes toutes et tous des survivants, dès notre premier souffle. Chaque naissance est une énorme catastrophe environnementale : le monde auquel nous adhérions sans interruption, l’épaisseur de réalité qui nous entourait et nous soutenait et avec laquelle nous coïncidions sans effort se désagrègent. Mieux, notre vieux monde chéri nous expulse. Un gouffre s’ouvre, l’horizon ultime s’éloigne, l’épaisseur de vie dense et pleine de sens qui caractérisait la réalité se dilate et s’amincit. C’est comme si le barrage s’ouvrait et que la vie nous déposait dans un espace où tout est plus rare et dépareillé.
Nous devrons nous construire nous-mêmes
De ce nouveau monde, dans lequel nous sommes arrivés sans savoir comment, nous ne savons rien. Et il nous faut des décennies pour en mesurer les limites, en apprécier les plaisirs, en évaluer les dangers. Dans ce nouveau monde, nous sommes, littéralement, des débris et des fossiles d’un univers dont nous apprenons vite à tout oublier. Nous sommes des débris : des morceaux informes et peu autonomes d’un être vivant apparemment parfait, doté de deux têtes, deux cœurs, deux cerveaux, huit membres, dont notre seul but était de se construire et de jouir. Nous sommes des fossiles, parce que le monde dont nous faisions partie était une création d’un amour absolu dont nous ne savons