Je suis une espèce en voie de disparition. Je suis la sœur méconnue du tigre de la Malaisie, la jumelle cachée sous son masque de fer du rhinocéros de Java, la cousine bête du léopard du fleuve Amour. Mais alors que chacun se désole de la fin de la biodiversité ou de l’écoulement des glaciers adorés, me voilà, moi la passoire thermique, devenue la détestée du moment, celle avec qui il faut en finir et vite. Et j’ai la nette impression que personne ne se précipitera à la rescousse, quand l’Etat verdi de frais s’attaquera à mes fuites et à mes failles, à mes courants d’air et à mes généreuses déperditions de chaleur. Au contraire, on va me désigner comme la source de tous les maux environnementaux et me stigmatiser avec une méchanceté féroce, faisant de moi la dernière des dernières.
Regardez comment l’on me nomme et vous comprendrez en quelle estime on me tient. «Passoire», vous avez dit ? Cela renvoie à un égouttoir assez dégoûtant pour nouilles détrempées ou à un gardien de but aux gants troués et aux pieds palmés. De là à ce que l’on me considère comme une dépensière à qui le sable du temps et l’or du vent coulent entre les doigts, il n’y a qu’un pas qui sera vite franchi. Et l’on oubliera que j’ai donné un toit à tant de mal-logés, que j’ai créé un vide sanitaire sous les pieds