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Libération
Chronique «Ré/Jouissances»

Monologue du tracteur triomphateur, par Luc Le Vaillant

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Alimentationdossier
Prise de parole fanfaronne du cheval mécanique des campagnes, totem du productivisme nourricier et massive arme de persuasion lors des conflits agricoles.
Blocus d'agriculteurs à l'appel des syndicats contre les taxes et réglementations, à Ottmarsheim (Alsace), le 1er février. (Patrick Hertzog/AFP)
publié le 6 février 2024 à 6h44

J’étais en fureur, me voilà vainqueur. Je suis le tracteur sans peur qui a réussi à faire reculer en rase campagne le jeune Premier ministre qui comprend extrêmement vite les rapports de force sans qu’il soit besoin de lui expliquer longtemps. Il a suffi qu’avec mes copains de labour on pointe aux portes de la capitale nos museaux mafflus, nos carlingues de moins en moins cradingues et nos roues motrices écraseuses de hérissons décroissants et de bouses de vaches maigres pour faire plier les pouvoirs publics qui craignent les grosses bêtes pétaradantes quand elles se mettent martel en tête.

Gabriel Attal et les autres freluquets cravatés qui l’entourent nous voyaient déjà jouer les envahisseurs crottés d’impatience et les loups faméliques entrant dans Paris qui par Issy, qui par Ivry. Ils craignaient qu’oubliant nos obligations de nourrices de la Nation, nous bloquions l’accès à Rungis et que, du marché de gros ne sorte plus la moindre patate.

Ils nous voyaient déjà affamer les exigeants citoyens qui d’ordinaire s’empiffrent de nos victuailles sans réaliser, tels d’inconscients consommateurs, ce qu’il nous a fallu travailler et prendre de la peine pour rentrer dans nos fonds qui manquent le plus. Sanglés dans leurs costumes effilés, ils nous suspectaient déjà de vouloir poser un anneau gastrique au ventre de Paris. Et i