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Libération
Chronique «Points de vie»

Pour que la fin de l’Etat ne soit pas celle du politique

Alors que la forme Etat-nation semble à l’agonie, il est urgent d’imaginer une nouvelle appartenance politique qui lie chaque être humain à la totalité des vivants et de la planète et non à une seule portion de celle-ci.

En 2023, au Costa Rica, deux femmes de la tribu cabécar qui au sein de la communauté Progreso se sont affranchies des codes de la société en récupérant les terres de leurs ancêtres. (Florence Goupil/Libération)
ParEmanuele Coccia
philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
Publié le 11/05/2024 à 7h02

On dit que la ville a capitulé à la fin de l’été : le 24 août 410 après un siège très court, Rome, la ville qui avait construit un empire et subjugué la Méditerranée est humiliée et mise à sac pendant trois jours entiers par les troupes wisigothiques commandées par Alaric. Il ne s’agit pas seulement d’une défaite militaire : c’est le premier signe clair de la chute d’une institution politique qui semblait immortelle parce qu’elle avait inventé des formes inégalées. C’est d’ailleurs de ce même empire aujourd’hui enterré que les Etats européens modernes ont hérité la technique de production des formes sociales que nous avons l’habitude d’appeler «le droit». C’est pourquoi, c’est moins la guerre qui a effrayé les commentateurs de l’époque qu’un doute, plus insidieux et difficile à dissiper, sur la fragilité des institutions politiques en tant que telles et le sens de leur disparition.

Ce qui semblait révolu, en fait, ce n’était pas un seul Etat, mais l’idée même de politique. «Le monde entier meurt dans une seule ville», écrivait l’un des grands intellectuels de l’époque.

Seize siècles plus tard, ce doute brûle encore dans nos consciences. Quand et comment un Etat meurt-il ? Et qu’est-ce que cela signifie pour la vie d’un peuple ? Subsiste-t-il encore après la fin de l’institution qui en avait fait une réalité politique ? En effet, on pourrait pense