J’ai passé les dernières semaines dans une unité de soins palliatifs montréalaise, au chevet de mon beau-père, cet homme qui n’est pas mon père de sang, mais qui m’a élevée, comme on dit, et dont l’état de santé s’est détérioré au cours de l’été.
Cet accompagnement a perturbé mon rapport à l’actualité. Les journées sont désormais tributaires des heures hospitalières, ce temps d’attente où, hormis les gestes de soin, on ne fait rien d’autre que de se tenir à côté de la vie ordinaire.
Tous les matins, j’observe mon beau-père, son corps amaigri enveloppé dans les draps, ses joues creusées, ses longs doigts qui donnent l’impression de battre un rythme fantôme. Les soins dont il a besoin sont constants et exigeants, si bien que ma mère et lui doivent désormais vivre séparés. J’ai pris sa place, en quelque sorte, auprès de ma mère, pour qu’elle se sente moins seule.
Mise au ban
Quand ma mère est tombée enceinte de moi, puis quand elle a accouché, c’est ce qu’elle était : seule. Mise au ban.
Je suis née en 1968, sur le seuil entre le Québec ancien et le Québec moderne. Ma mère, tombée enceinte hors mariage, a été abandonnée par mon géniteur. J’étais donc une bâtarde, et ma mère, une «fille-mère». Dans le Québec de cette époque-là, quand l’Eglise catholique exerçait toujours un contrôle important sur la population, la culture, les mœurs, l’éducation, tomber enceinte hors mariage était une honte.
C’était avant la création de la sécurité sociale québécoise, avant qu’on ferme les orphelinats et qu’on