Parmi les questions décisives qui se posent à nous en période électorale, il en est une qui relève de la philosophie politique comme de la psychanalyse, celle du jugement que nous pouvons porter sur la modernité. Si le monde qui vient doit être celui de la contestation, ainsi que le prédit le dernier rapport prospectif de la CIA, il convient de se demander ce que nous contestons et en vue de quoi nous le faisons, bref, quelle société nous souhaitons.
On peut critiquer, dans la modernité, le nouveau stade du capitalisme que nous connaissons. En creusant les inégalités et en épuisant les sujets humains, il invente une forme d’aliénation que Marx n’aurait pu envisager. L’idée du rendement nous envahit, rendant suspecte toute gratuité, toute inutilité, tout intervalle vide. Si nous contestons que la finalité d’une société humaine réside dans la seule productivité économique, nous devons refuser autant une éducation tournée vers la seule adaptation aux valeurs d’efficacité qu’une exploitation destructrice de la nature. Bien sûr, on peut aussi s’inquiéter de la tendance narcissique à aimer son image plus que soi-même et à juger d’autrui par la ressemblance avec celle-ci. La juste contestation implique également que nous cessions de fermer les yeux sur les esclaves invisibles qui sont à notre service et dont le nombre aurait rendu envieux les plus riches des maîtres des époques antérieures – esclaves jamais seulement technologiques mais toujours aussi incarnés dans des êtres humains