Si j’ai bien compris, avec le procès de Marine Le Pen et du Rassemblement national, s’ouvrent quelques semaines où on ne devrait pas entendre l’extrême droite vilipender le laxisme de la justice. Peut-être même que, comme de vulgaires récidivistes en puissance ayant échappé à ses foudres, ils ambitionnent d’avoir l’occasion de s’en féliciter, des décisions de cette justice aveugle, bête et fourbe. Mais si jamais, par extraordinaire, Marine Le Pen était condamnée et se retrouvait inéligible pour une raison autre que son programme ? Jordan Bardella doit toucher du bois. Mais là aussi, dans quel espoir ? Que son admirable et si compétente cheffe adorée puisse quand même concourir et se retrouver en mesure de lui exprimer plus tard sa reconnaissance ? Ou préférerait-il avoir, lui, l’occasion de jouer les généreux magnanimes à l’égard de celle qui lui réservait certes l’enfer de Matignon mais lui avait permis de gagner quelques sous, quand les temps étaient malgré tout moins durs que la politique qu’il promet aux immigrés et aux binationaux ? Généralement, la popularité de Marine Le Pen croît quand elle ne fait rien et baisse quand elle est à la une. Son procès fera-t-il le jeu du Rassemblement national harcelé par ces petits pois de magistrats à la solde de la ratatouille politicienne ? Peut-être Marine Le Pen ne saura-t-elle pas se défendre, elle qui passe sa vie à attaquer. Mais parfois, électoralement parlant, la meilleure attaque, c’est la défense. Et, de fait, si le Rassemblement national est prêt à défendre des racistes et des sympathisants attardés du IIIe Reich, pourquoi s’indigner pour un éventuel détournement de fonds de tiroir-caisse européen ? L’Europe est déjà bien assez riche, non ?
Innocentée ou condamnée ?
Pour résumer : le procès va-t-il faire du bien ou du mal à Marine Le Pen ? Et de quelle manière ? Etre innocentée par cette justice pourrie serait-il un frein à sa perpétuelle montée en puissance et à une dédiabolisation qui, dépassant les bornes, donnerait un coup de fouet, bénéfique celui-ci, aux partisans éplorés d’Eric Zemmour, indignés qu’un sang impur abreuve désormais les tribunaux ? Alors qu’être condamnée serait la confirmation éclatante du complot mené par la droite, le centre, la gauche, l’Etat profond, les immigrés et leurs complices, ce complot que des millions d’électeurs la remercient de dénoncer depuis son entrée en politique. Non mais, est-ce que la justice est une valeur intangible et sacro-sainte dans un pays comme la France qui a perdu de sa superbe depuis Louis XIV ? Serait-ce justice qu’une femme comme Marine Le Pen, qui pourrait être la première femme présidente, grâce à qui plus personne ne se sentirait en insécurité sinon les méchants et les étrangers dissuadés une bonne fois pour toutes de venir manger nos brioches, sous le règne de qui le chômage s’en prendrait plein la gueule tandis que ce serait Noël tous les jours pour le pouvoir d’achat – serait-ce justice que de simples juges élus par personne respectent plus la lettre de la loi que l’esprit de la démocratie d’extrême droite ? Condamner Marine Le Pen ? Mais, pour ses partisans comme pour ceux de Donald Trump, ce serait la justice à l’envers.
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Les juges, en France, n’ont pas toujours fait preuve d’un courage à renverser les montagnes. La justice a beau être aveugle, on la soupçonne encore capable d’une souplesse de gymnaste et d’une capacité d’adaptation de caméléon. De ce point de vue, on pourrait aussi étudier le verdict de ce procès national à cette aune, comme un sondage quant à ce que prévoient les magistrats pour l’avenir politique du pays, et de leurs futures fonctions. Si j’ai bien compris, de même que la loi est dure mais c’est la loi, l’homme est humain.