Le rire appartient sans conteste au champ de l’histoire, et plus largement des sciences humaines et sociales. Fait anthropologique universel, étudié en leurs temps par Aristote, Thomas d’Aquin, Rabelais, Kant, Bergson, Bakhtine et Jankélévitch, il n’en est pas moins situé dans un temps et un espace toujours particuliers. Transgressif et subversif par essence, il est, en France, étroitement lié à l’histoire politique d’un pays et d’une communauté qui se pensent dans le temps long d’une construction à la fois démocratique et républicaine. Objet «bon à penser» pour l’histoire, plaidait déjà Jacques Le Goff à la fin du siècle dernier, il porte en lui l’invitation renouvelée à interroger nos sensibilités dans la durée (1).
Dans son article de 1997, l’historien du Moyen Age lançait alors les pistes d’une étude du rire qui se déploie aujourd’hui à travers le champ des humor studies : du carnaval au stand-up en passant par les bouffons, la presse satirique et la caricature, le rire et ses supports offrent d’innombrables entrées à l’historien·ne des cultures et des sociétés. Dans le même article, Le Goff soulignait aussi le caractère intrinsèquement pluridisciplinaire de ce champ d’études, repris aujourd’hui dans une somme publiée aux éditions du CNRS et réunissant une trentaine de contributeur·ice·s issu·e·s de nombreux horizons disciplinaires (2). Y est notamment posée l’hypothèse d’une inflexion majeure dans l’histoire du rire en France depuis la Révolution : celle d’