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Libération
La chronique de Michaël Fœssel

Séisme, une catastrophe pas si naturelle

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Chronique «Philosophiques»dossier
En 1755, Lisbonne était ravagée par un tremblement de terre : fatalité naturelle pour Voltaire, catastrophe sociale pour Rousseau. Aujourd’hui, il n’y a plus débat, les Syriens sont bien victimes de la guerre.
Earthquake and tidal wave causing destruction of buildings in Lisbon, Portugal, 1755. Handcolored woodcut of a 19thcentury illustration (AKG/North Wind Picture Archives)
par Michaël Fœssel, professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique
publié le 9 février 2023 à 7h32

Lorsqu’elles sont d’origine naturelle, les grandes catastrophes ouvrent une parenthèse éphémère dans les conflits géopolitiques. A la suite du tremblement de terre qui a ravagé les régions frontalières de la Turquie et de la Syrie, le monde entier s’est penché sur le chevet des victimes. L’Ukraine et la Russie ont proposé leur aide, la Grèce a assuré la Turquie (l’éternelle ennemie) de son soutien. Israël a envisagé de porter assistance à la Syrie, un pays avec lequel il est pourtant en guerre depuis des décennies. Tout se passe comme si, en manifestant sa force destructrice, la nature remettait pour quelques jours les compteurs à zéro. Les conflits historiques les plus violents sont rendus vains par une catastrophe indifférente aux frontières nationales.

Est-ce à dire que la violence de la nature prouve qu’il n’y a plus ni Turcs, ni Syriens, ni Ukrainiens ni Russes, mais seulement des humains qui prennent subitement conscience de la fragilité de leur condition ? Chacun sait que cet élan humanitaire ne dure que le temps où la catastrophe occupe le devant de la scène. Très vite la logique sordide des intérêts reprend ses droits : Assad n’a pas tardé à faire savoir qu’il n’admettrait pas d’autre aide que celle qui lui est proposée par Poutine.

Pour comprendre l’ambiguïté de la notion de catastrophe naturelle