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Chronique «Points de vie»

Souviens-toi du futur

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Chronique «Points de vie»dossier
Les actions passées nous hantent sous la forme d’un écho qui veut faire bouger nos muscles et notre cœur au moins une seconde fois. Tout notre bonheur dépend du statut que nous donnons à ce passé qui ne passe pas.
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié le 15 janvier 2022 à 9h02

Nous pouvons penser que nous avions raison ou que c’était la plus grosse erreur de notre vie. Nous pouvons en être fiers ou en avoir honte. Il importe peu de savoir s’il s’agit d’actions ou de pensées, de véritables déclinaisons du verbe «faire» ou de celui du verbe «être». Ce que nous avons fait, ce que nous avons été continue à vivre bien longtemps. Et il nous interroge. Nous avons aimé, nous avons désiré, nous avons pleuré et nous nous sommes réjouis, nous avons construit et nous avons détruit. Et ces moments ne meurent jamais dans l’instant de leur réalisation. Il y a quelque chose qui reste, il y a une vie qui survit au temps où elle s’est formée, comme le tonnerre que l’on attend lorsque les éclairs ont illuminé le ciel. Toutes les actions passées semblent condamner le moi à ne pas pouvoir mourir : elles nous hantent sous la forme d’un écho qui veut faire bouger nos muscles et notre cœur au moins une seconde fois.

Le statut de cette vie surnuméraire et ultérieure, cette résurrection involontaire des actes passés, est difficile à décrire ou à définir. Ça fait mal d’y penser sous la forme d’un simple souvenir. Ce ne sont pas seulement les images du passé qui nous submergent. Il y a d’abord une foule d’émotions trop présentes : orgueil, gêne, repentir, douceur, nostalgie, douleur renouvelée, joie encore plus intense. Nous avons dit ou fait ce que nous ne voulions pas dire ou faire : nous sommes là maintenant, submergés par un tourbillon d’affections qui déforme tout le pré