Ils prennent la poussière dans nos bibliothèques, et pourtant : pour penser l’époque, certains vieux bouquins sont aussi utiles que les textes contemporains. Libé les remet au goût du jour en les plongeant dans notre actualité.
The Space Traders («les marchands de l’espace») signe l’entrée brutale dans la fiction de Derrick Bell, professeur de droit émérite de 62 ans. La dystopie à laquelle il nous convie dans cette nouvelle publiée en 1992 requiert moins d’imagination que de lucidité tragique. La science-fiction est en effet introspection, et quand il en est des Etats-Unis, celle-ci se nomme race. On comprend dès les premières pages que ce récit fou nous pose une question existentielle : que vaudrait une vie noire face à la promesse de lever les contraintes de la biosphère et de pouvoir s’enrichir indéfiniment ? Face à la catastrophe, accepterions-nous de sacrifier nos populations les plus vulnérables si cela permettait de mettre fin au chaos climatique et à la finitude des ressources ? Le procureur Bell intime au lecteur de répondre : n’y a-t-il pas un juste prix à la préservation du monde des dominants ? L’auteur n’est ni un illuminé ni un apprenti Spielberg. Derrick Bell est une sommité intellectuelle ayant passé sa vie à étudier les mécanismes de la discrimination institutionnelle. Penseur critique de la loi, père de la Critical Race Theory et théoricien pessimiste des droits civiques, il nous invite ici à un retour vers le futur au goût de réalité.
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